LES HALLUCINATIONS DE DICAPRIO EXPLIQUÉES



AFFIRMATION 262

Se représenter ou s’imaginer un monde n’est pas une moindre réalité.

Le présent blogue s’adresse à ceux qui ont vu le film du réalisateur Alejandro González Iñárritu, Le Revenant et à ceux qui comptent le voir. Selon ma compréhension, il y a trois formes d’hallucinations : essentielle, réactionnelle et existentielle. En tout premier lieu, il y a les hallucinations, chroniques, propres à certaines pathologies telles la paranoïa et la schizophrénie dont l’origine relève de la jeune enfance (0-5 ans). Elles sont tantôt auditives, tantôt visuelles, tantôt sensitives. À juste titre, on pourrait les nommer essentielles, dans le sens précis qu’elles sont intégrées, pathologiquement, dans une structure de personnalité psychotique. Une seconde forme pourrait être nommée réactionnelle, en ce sens qu’elles peuvent survenir à la suite d’une épreuve importante, de haute intensité.
Dans la dernière année d’existence de mon père, une de mes sœurs, Aline, et moi nous nous sommes occupés assidûment de lui étant donné que nous demeurions assez près de son domicile. Quelques jours après sa mort, ma sœur alla à la maison pour arroser les plantes d’intérieur. Quelques instants après son entrée dans la maison, elle se précipita au téléphone pour me dire qu’elle avait vu papa dans la porte de la salle de bain : « Je te jure, je l’ai vu Magella, je ne suis pas folle! ». Ma mère étant déjà décédée quelques années plus tôt, la mort de mon père signifiait la fin du système parental. Qui plus est, cela se passait dans la maison familiale où nous avions tous vécu, mon père, ma mère et quatorze enfants. Non ma sœur n’était pas folle, elle a vu mon père. Ce n’est pas l’œil qui voit, si c’était le cas, tout le monde verrait la même chose. Nous percevons avec notre histoire intérieure, notre passé, notre âme. La mort de mon père, c’était la mort du système parental, une étape importante dans l’existence de quiconque. Enfin, il y a selon moi, une troisième forme d’hallucination et il s’agit de celle dont il est question dans le cas qui nous intéresse ici, soit des hallucinations réactionnelles également, mais surgissant face à une situation de mort, là où l’existence est menacée, plus précisément et prioritairement, dans son mode corporel : or, pas de corps, pas d’existence. Appelons-les hallucinations existentielles dans le sens même où c’est l’existence, dans sa totalité qui est menacée, celle-là même que DiCaprio vivait. Or, si l’existence est menacée physiquement, elle l’est totalement, car le corps est le véhicule de l’existence dans sa totalité. Toute existence humaine comporte trois dimensions inextricables en interrelation constante dans le temps : le spirituel ou l’immatériel, ce qu’il est convenu de nommer l’âme (les significations), le psychologique ou agitations de l’âme (les émotions) et le physique (les réactions corporelles).

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Ainsi, le corps est le véhicule de l’existence, de l’être au monde.

Dans de telles situations existentielles où la dimension physique de l’existence est menacée, où l’écoulement du temps se voit arrêté dans sa fluidité usuelle, où l’individu se voit mort, l’hallucination, comme mécanisme adaptatif ponctuel, projette totalement l’individu hors de sa situation présente. Or, nous savons que lors de phénomènes hallucinatoires tout comme dans les rêves, nous devenons a-sensoriels, c’est-à-dire insensibles à la douleur physique : froid, chaleur, faim, etc. A-sensoriels du fait que la perception de la réalité courante, présence perceptive, est momentanément suspendue d’où la suspension, au même moment, de tout l’appareil sensoriel, car c’est avec les sens, initialement, que nous percevons et que nous existons aussi. Cela se passe comme si l’individu engloutissait le monde au lieu d’être englouti par celui-ci. DiCaprio, dans le film « Le revenant », s’est sauvé de sa situation de mort, mais ce sont là des cas d’exception. C’est grâce à sa personnalité qu’il s’est sauvé, ce qui n’est pas le cas pour tout le monde. Dans ce film, le personnage de DiCaprio était d’ailleurs reconnu, au départ, pour être quelqu’un d’exceptionnel en termes d’endurance. Bien avant le film « Le revenant », le réalisateur cinématographique Dany Boyle avait réalisé 127 Hours, en français 127 heures. Il s’agit de l’histoire vécue d’Aron Ralston, un alpiniste chevronné de l’Utah. Ralston est parti pour une expédition en montagne et, contrairement à son habitude, il n’avisa personne de son projet. En descendant dans une crevasse, il déplaça malencontreusement une énorme pierre qui bascula et qui lui écrasa le poignet et la main droite; il fut complètement coincé. La seule issue fut de se couper lui-même le bras avec son couteau de poche afin de se sortir de ce piège qui, indiscutablement, aurait été mortel. La seule façon d’opérationnaliser sa décision, sans anesthésie et sans stérilisation, cela va de soi, impliquait les mécanismes adaptatifs que sont les hallucinations, ce qu’il a lui-même confirmé et que le réalisateur a très bien su rendre. 


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L’anticipation de notre propre mort, comme possibilité indépassable, fait de toutes les autres possibilités de l’existence des possibilités secondaires.

Après 127 heures d’efforts vains, une ultime hallucination, celle d’un petit garçon, son futur fils qui le regarde en souriant, le persuade qu’il va s’en sortir. Rappelons-nous que les mécanismes hallucinatoires relevant de la structure psychotique s’instaurent entre 0 et 5 ans et y recourir d’une telle manière est tout aussi exceptionnel que pathologique même si cela lui a sauvé la vie. Or, le début de l’existence nous ramène à cette proximité avec la vie animale où prime un niveau de connaissance purement physique. Un animal pris au piège se coupe la patte. Nous sommes là devant des phénomènes d’automutilation, phénomènes courants en psychiatrie. À un degré extrême, le procédé hallucinatoire, comme projection totale dans le futur, a fait en sorte que DiCaprio a pu concentrer toute son énergie sur son corps phénoménal c’est-à-dire l’histoire, voire la structure temporelle du corps à en oublier son corps objectif, soit ce corps mortellement prisonnier et survivre donc à tout ce qu’il a pu endurer. Le corps objectif porte en lui une structure temporelle. L’hallucination s’explique dès lors du fait que le corps phénoménal maintient une relation constante avec le milieu où il se projette.

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Être a-sensoriel c’est être étranger à son corps donc à la mort aussi.

L’hallucination, même si elle vaut comme réalité, n’est pas une perception, d’où le fait que l’halluciné devient a-sensoriel. Être a-sensoriel, c’est être étranger à son corps donc à la mort aussi. Dans ce cas-ci, DiCaprio s’est prévalu de cette hallucination de son fils et de sa femme, –projection essentiellement tournée vers le passé – pour se motiver à survivre. Il y avait coïncidence totale d’un futur anticipé par la vengeance, nourri par le passé, avec le présent. Seul le présent est matériel, sensoriel d’où le fait de devenir a-sensoriel dans de telles hallucinations. On pourrait dire que l’halluciné est totalement absent à sa présente situation. DiCaprio n’était plus là, il était totalement ailleurs. Une telle hallucination équivaut à une « sortie du corps ». Ce qui sous-tend l’existence humaine relève du principe de motivation, lequel réfère à la temporalité et non de la causalité : l’humain est un géant temporel.

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C’est une caractéristique possible de l’existence humaine, être là tout en étant ailleurs.

Voici un exemple pour bien saisir ce principe de motivation, car il est essentiel à la compréhension des hallucinations. Supposons que je suis chez moi à rédiger ce chapitre par une belle matinée de juillet (ce temps = le présent). La fenêtre de mon bureau est ouverte et tout est calme. Soudain, le voisin décide de tondre sa pelouse. Je dois compléter ce chapitre pour demain (ce temps = le futur) parce que les objectifs fixés antérieurement (ce temps = le passé) avec éditeur commandent cela. Je me lève et je ferme la fenêtre. Scientifiquement, donc causalement, on pourrait expliquer que c’est la pression exercée par la force de mon bras qui a fermé la fenêtre. Cependant, à un niveau phénoménologique, où l’on est en recherche de sens, la raison est tout autre. En d’autres termes, mon action de fermer la fenêtre est motivée par certains objectifs du moment, reliés conjointement à mon passé et à mon futur personnel du moment. Ma conjointe pourrait très bien, quant à elle, continuer à décaper un meuble acheté la veille, et cela malgré le bruit de la tondeuse. Une fenêtre peut également être fermée parce qu’il y a eu un coup de vent, mais il demeure qu’un coup de vent ne pourra jamais rien savoir de la signification du bruit. Du point de vue strictement scientifique, le fait qu’elle ait été fermée parce qu’il y a eu un coup de vent ou par la pression d’une main sur son rebord peut très bien se comprendre et s’expliquer dans l’ordre de la causalité. Or, au plan humain, c’est totalement différent. Voilà pourquoi, lorsqu’il est question de l’existence humaine, le principe de motivation prévaut sur le principe de causalité. L’humain est un être temporel et l’existence humaine, en tant que présence, est toujours motivée historiquement. Il serait plus précis ici de dire « chronohistoriquement » par le passé et « projectivement » par le futur. C’est connu, face à des situations de mort évidentes, near-death experiences, certains pourront halluciner un tunnel baignant dans la lumière, ce qui les sauvera d’une mort certaine. De façon analogique, ce phénomène de mort imminente serait peut-être le lien avec cette molécule que la mère transmet au nouveau-né lors d’un accouchement naturel, le DMT : un puissant opiacé endogène psychédélique à action rapide. Le DMT serait en connexion avec la glande pinéale, seul l’humain possède cette glande, considérée comme le lieu du septième chakra (Sahasrãra). Quant au déroulement rétrospectif de leur vie cela peut se comprendre du fait que rendu à ce moment infinitésimal où le futur devient physiquement impossible la seule projection qui demeure possible est vers le passé, la mort de sa femme, et ce, à une vitesse relative au temps qui reste. Quant au futur, c’est l’expérience du tunnel baignant dans la lumière qui le comble.

En conclusion, le film de DiCaprio c’est du Cinéma certes, mais du grand Cinéma compte tenu que ses hallucinations sont parfaitement réalistes. Quoiqu’il en soit ce ne sont pas des mécanismes de défense telles ces hallucinations qui sont pathologiques, mais les événements que nous vivons. Dans une perspective semblable, peut-être serait-il plus logique de parler de mécanismes adaptatifs dont le but est de survivre à de telles situations.

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Ce ne sont pas les mécanismes de défense qui sont pathologiques, mais les événements.



**Les Affirmations du texte sont tirées du livre Liberté de Magella Potvin.

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